Italie : élections municipales, comme les modes changent vite !

Roméo Fratti
11 Juin 2013



En Italie, la politique est un peu un juke-box qui renouvèle ses hits sans cesse : il aura suffi de quelques jours pour que la tempête électorale déclenchée en février par les cordes vocales brailleuses de l’ex-humoriste Beppe Grillo ne se retourne contre le plus grand barde que la scène politique italienne ait jamais connu.


Crédit Photo -- Max Rossi, Archives Reuters
Crédit Photo -- Max Rossi, Archives Reuters
Le 25 février 2013, les Italiens assistaient – non sans une pointe d’amusement – à l’entrée fracassante du Mouvement 5 Étoiles (Movimento 5 Stelle) au Parlement ; avec respectivement 109 sièges à la Chambre des députés et 54 sièges au Sénat, la vague contestataire emmenée par Grillo venait même de balayer la coalition du Président du Conseil sortant. Avec Monti pour l’Italie (Con Monti per l’Italia) : l’économiste modéré détrôné par l’humoriste qui n’en est même plus un. C’est vrai que cela prête à sourire (en coin)…

Coup de tonnerre en Italie donc, ladite tempête venait de rafler l’Italie pro-Bruxelles… mais toujours se méfier de l’effet boomerang ! Beppe Grillo et Umberto Bossi, chef de la Ligue du Nord (Lega Nord), auraient bien fait de regarder les premières minutes du Dîner de cons (La cena dei cretini en italien) : en un seul moment d’inattention, un passionné de boomerang se prend méchamment à la figure l’objet de sa passion. Grillo et Bossi ont-ils vu la tempête changer de cap ? Car aujourd’hui, non contente d’avoir emporté le Mouvement 5 Étoiles, elle a également arraché le Carroccio .

Qu’on en juge, les résultats sont sans appel : selon des résultats officiels transcrits le 10 juin par La Repubblica et L’Espresso, le score total atteint par les « Grillini » gravite autour de 2 % des voix. Une misère – le mot est faible – si l’on compare ce résultat aux 23,8 % et aux 25,5 % respectivement obtenus à la Chambre et au Sénat en février. Pomezia – dans le Latium – et Assemini, près de Cagliari en Sardaigne, les deux seules villes moyennes conquises par des candidats investis par Grillo (Fabio Fucci et Mario Puddu), ne sauraient constituer les canots de sauvetage d’un naufrage cinq étoiles.

Côté sauvetage, puisqu’on en parle, la Ligue du Nord échoue même à trouver une bouée ou un gilet : au soir du second tour, le 10 juin, le parti de Bossi a perdu jusque dans son fief historique de Treviso en Vénétie, où Giovanni Manildo, candidat de centre-gauche, n’a fait qu’une bouchée du « leghista » Giancarlo Gentilini pourtant au pouvoir depuis 19 ans. Une bouchée de 55 % des voix, devenue le symbole de la fin de la Lega.

Comment expliquer ce changement brusque de comportement électoral ? On répondra que le populisme n’est déjà plus à la mode en Italie. Mais qu’est-ce qu’au juste ce « populisme » qui lui, en revanche, traverse les modes ? Jean-Louis Bourlanges en parle en des termes très justes en soulignant ses principales caractéristiques : le constat vécu de l’échec européen, la mise en cause des élites, la revendication de l’égalité des citoyens contre la caste politique, la violence du ton et la diabolisation de l’étranger.

Maintenant, regardons de près nos deux mouvements à la dérive et rendons-nous bien compte qu’ils ne sont pas si différents : tous deux ont puisé leurs racines dans le populisme eurosceptique et anticorruption, tous deux sont nés du charisme d’un seul homme dont l’absence initiale d’ancrage politique a permis de mieux cristalliser la colère de franges entières de la population, déçues par la classe politique traditionnelle. Mais, bien entendu, à mouvement différent, populisme différent : si la Ligue du Nord fait son apparition en 1989, en réaction à la corruption des politiques, elle fait du régionalisme séparatiste et de la xénophobie ses fers de lance ; fondé en 2009 sous l’impulsion du « franc-parler »  de Beppe Grillo, le Mouvement 5 Étoiles met quant à lui l’accent sur une démocratie directe, écologiste et décroissante.

Mais enfin, peut-on résorber une dette qui s’élève à 125 % du PIB avec des « vaffanculo » ? Le régionalisme est-il la meilleure arme pour faire face à 2,8 millions de chômeurs à l’échelle nationale ? Ben voyons.
Umberto Bossi et Beppe Grillo ont été incapables de transformer leur présence politique en une stratégie gouvernementale crédible, et le succès de Grillo aux élections législatives de février aura eu le mérite d’ouvrir les yeux des Italiens sur ce manque de leadership : le populisme est un outil formidable pour mobiliser les citoyens et ‟imaginer demain, mais quid d’‟aujourd’hui ? Agiter une foule est une chose, guider « aujourd’hui » un groupe d’élus au Parlement en est une autre. Ainsi, un parti protestataire finit par se réduire à ce qu’il est : un non-parti, et c’est bien ce qu’analyse le journaliste Enrico Galli della Loggia dans le Corriere della Sera du 10 juin.

Finalement, le populisme est un peu le pense-bête de la politique : il sert à rappeler que les populations veulent des mesures concrètes. Le gouvernement d’Enrico Letta ne se le fera pas répéter.

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